1. L’AGENCE COMMERCIALE
Le statut des agents commerciaux en France et en Belgique est relativement proche, dans la mesure où les deux pays ont transposé la directive communautaire n° 86/653 du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des états membres concernant les agents commerciaux indépendants.
Compte tenu de l’espace de liberté laissé par la directive aux états membres, il faut mentionner un certain nombre de distinctions pratiques importantes entre le statut belge et français de l’agent commercial.
1.1. DEFINITION DU STATUT D’AGENT COMMERCIAL PAR LA DIRECTIVE COMMUNAUTAIRE
Le statut d’agent commercial a été défini par la directive communautaire en ces termes :
« L’agent commercial est celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure des opérations au nom et pour le compte du commettant. »
Il convient d’insister, notamment en Belgique, sur la nécessité de l’indépendance de l’activité de l’agent commercial. En effet, avant que la directive ne soit transposée en droit belge, les Tribunaux belges avaient l’habitude, en l’absence d’un régime légal de l’agence commerciale, de considérer l’agent comme un salarié, dés lors qu’ils pouvaient relever le moindre lien de subordination entre l’agent et son commettant.
La loi belge du 13 avril 1995, créant un véritable statut des agents commerciaux, devrait limiter cette pratique ; le commettant doit toutefois être particulièrement vigilant et veiller à ce que les relations qu’il entretient avec l’agent ne puissent révéler un lien de subordination et notamment ne pas exiger des rapports réguliers sur l’activité de l’agent.
1.2. CONDITIONS DE FORME POUR LA VALIDITE DU CONTRAT
En Belgique, le contrat d’agence peut être écrit, verbal ou déduit du comportement de fait des parties. Il n’est donc lié à aucune formalité mais chaque partie peut exiger que la teneur du contrat soit confirmée par écrit.
En France, la loi du 25 juillet 1991 a supprimé l’exigence antérieure de la forme écrite du contrat. Toutefois, chacune des parties peut exiger un document écrit. La suppression de la forme écrite obligatoire n’a cependant pas fait disparaître l’obligation d’inscription de l’agent à un registre spécial tenu auprès des Tribunaux de son domicile, mais l’absence d’enregistrement ne prive plus l’agent de la protection de son statut.
L’enregistrement obligatoire est une mesure purement administrative, mais l’absence d’enregistrement est une contravention de 5e classe, sanctionnée par une amende de 1.500 € au plus.
1.3. EXECUTION DU CONTRAT
Au niveau de l’exécution du contrat, un certain nombre de différences importantes est à signaler entre les législations française et belge.
1.3.1. Rémunération de l’agent
La rémunération de l’agent peut prendre, en France comme en Belgique, la forme d’un salaire fixe, d’une commission liée au chiffre d’affaires ou d’une combinaison de ces deux formules.
En France, l’usage veut que la commission soit calculée sur la valeur hors taxes, hors frais de transports, hors remises et autres, alors qu’en Belgique, sauf convention contraire, la commission est calculée sur la valeur brute TTC facturée aux clients, sans déduction des frais et accessoires (emballage, transports, assurance, etc. …), sauf si ceux-ci sont facturés séparément et sans déduction des taxes, frais de douane et autres charges (même facturés séparément).
Les parties peuvent convenir d’un autre mode de calcul, mais elles ne peuvent en aucun cas exclure de la base de calcul, les rabais, ristournes, escomptes, que le commettant accorde unilatéralement à ses clients.
En droit Belge, le droit à commission échoit 5 ans après sa naissance et la demande est prescrite 1 an après l’expiration du contrat d’agence.
En droit français, le droit à commission se prescrit par 5 ans, sans qu’il y ait de prescription de l’action en paiement.
1.3.2. Opérations sur lesquelles la commission est due
1.3.2.1. Commission versée pendant la durée du contrat
Seul le paiement des commissions indirectes diffère entre les deux législations :
o En France, une commission indirecte est versée pour toutes les opérations conclues avec une personne appartenant au secteur dont est chargé l’agent (sauf stipulation contraire) ;
o En Belgique, une telle commission n’est versée que si le secteur est attribué en exclusivité à l’agent.
1.3.2.2. Commission versée après la cessation du contrat
En Belgique, l’agent conserve le droit à commission sur les contrats en grande partie préparés par lui et conclus dans les 6 mois suivant la fin de l’agence.
En France, il n’existe pas de délai précis. La loi mentionne un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat.
1.3.2.3. Extinction du droit à commission
En droit français, l’agent ne touche pas de commission s’il apparaît que la transaction ne sera pas exécutée sans que le commettant soit en cause. Dans ce cas, la commission déjà versée devra en principe être remboursée.
Le droit belge ne prévoit pas l’extinction automatique du droit à commission. Il convient donc de prévoir dans le contrat que la commission ne sera payée ou devra être remboursée si le contrat n’est pas exécuté sans que le commettant soit en cause.
1.3.3. La clause de Ducroire
La loi belge prévoit que le contrat peut inclure une clause de ducroire, à condition qu’elle soit écrite. En principe, la responsabilité de l’agent résultant de cette clause se limite au cas où le client apporté est en défaut de paiement pour cause d’insolvabilité (faillite de droit belge). Si cette responsabilité est étendue à d’autres causes de non paiement, elle doit être stipulée explicitement dans le contrat.
Par ailleurs, la clause de ducroire est soumise aux restrictions suivantes :
elle ne porte que sur les transactions sur lesquelles l’agent s’est entremis ;
elle est caduque si le commettant modifie sans l’accord de l’agent les conditions de livraison ou paiement ;
mais surtout, elle se limite à la commission convenue sur la transaction (sauf dans l’hypothèse où l’agent a conclu lui-même cette transaction au nom du commettant ou lorsque son engagement se rapporte à une affaire déterminée).
En pratique, la clause de ducroire couvre le plus souvent le remboursement de la commission déjà versée.
En réalité, la clause de ducroire est très proche de la loi française qui prévoit qu’en cas de non exécution du contrat sans faute du commettant, la commission sera remboursée par l’agent.
1.4. LA RUPTURE DU CONTRAT
1.4.1. Délai de préavis plus long en Belgique
En Belgique, la durée du préavis est d’un mois pendant la première année du contrat. Après la première année, la durée du préavis est augmentée d’un mois par année supplémentaire commencée sans que ce délai puisse excéder 6 mois. Les parties ne peuvent convenir d’un délai de préavis plus court.
En France, le délai de préavis est d’un mois la première année du contrat, 2 mois au cours de la deuxième année et 3 mois ensuite. Le délai de résiliation échoit en principe à la fin du mois civil.
Dans les deux pays, les parties peuvent résilier le contrat sans préavis ou avant l’expiration du terme, en raison d’un manquement grave de l’une des parties à ses obligations ou lorsque des circonstances exceptionnelles rendent définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre le commettant et l’agent.
1.4.2. Indemnité de clientèle
Les espaces de liberté laissés par la directive européenne aux Etats membres ont permis à la France de prévoir une indemnité de clientèle qui, en pratique, est beaucoup plus importante qu’en Belgique.
1.4.2.1. Indemnité de clientèle en Belgique
L’article 20 de la loi belge prévoit qu’après la cessation du contrat, l’agent commercial a le droit à une indemnité d’éviction lorsqu’il a apporté de nouveaux clients au commettant ou a développé sensiblement les affaires avec la clientèle existante pour autant que cette activité doive encore procurer des avantages substantiels au commettant. Le montant de l’indemnité est fixé en tenant compte, tant de l’importance du développement des affaires que de l’apport de clientèle.
Cependant, cette indemnité ne peut dépasser le montant d’une année de rémunération calculée d’après la moyenne des 5 dernières années ou, si la durée du contrat est inférieure à 5 ans, d’après la moyenne des années précédentes.
Comme d’autres pays européens, la Belgique a prévu que si le montant de l’indemnité ne compense pas la perte effectivement subie par l’agent, celui-ci peut réclamer des dommages et intérêts complémentaires.
1.4.2.2. Indemnité de clientèle en France
L’article L.134-12 du Code de commerce français précise qu’en cas de cessation des relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Contrairement à la législation de la plupart des autres pays de l’Union Européenne, la loi française ne prévoit donc pas de formule de calcul pour cette indemnité. La jurisprudence antérieure continue donc à s’appliquer : celle-ci fixe le montant de l’indemnité à deux années de commissions calculées sur la moyenne des 2 ou 3 dernières années.
Contrairement à ses collègues des autres Etats membres de l’Union Européenne, l’agent français n’est pas tenu de prouver qu’il a apporté de nouveaux clients ou augmenté le chiffre d’affaires pour pouvoir prétendre à une indemnité. Il suffit que la rupture du contrat lui cause un préjudice.
Le droit à l’indemnité est éteint, en droit français comme en droit belge, en cas de faute grave de l’agent.
En droit français, comme en droit belge, l’agent perd le droit à indemnité s’il n’a pas notifié par écrit au commettant dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il veut faire valoir ses droits.
1.4.3. Clause de non concurrence
En droit français, la clause de non concurrence doit être établie par écrit et concerne le secteur géographique et le type de biens ou de services pour lesquels l’agent exerce la représentation. La clause n’est valable que pour une période maximale de 2 ans après la cessation du contrat. La loi française ne prévoit pas d’obligations de verser à l’agent une indemnité compensatrice à cette obligation de non-concurrence.
En droit belge, la clause doit également figurer par écrit dans le contrat. Elle s’applique au territoire attribué et aux marchandises ou services pour lesquels l’agent a été désigné. Cette clause, cependant, a une durée maximale de 6 mois et, par ailleurs, est sans effet si le commettant dénonce le contrat suite à une faute grave de l’agent.
Le contrat peut stipuler que l’agent est redevable d’une indemnité forfaitaire en cas de transgression de l’interdiction de non concurrence mais cette indemnité ne peut être supérieure à une année de commission.
Les conditions sévères régissant la clause de non concurrence en Belgique, et notamment sa durée maximum de 6 mois, en restreignent fortement l’application. On peut, dès lors, se demander s’il est judicieux d’inclure une telle clause qui présume d’ailleurs qu’il y a eu un apport de clientèle par l’agent.
1.5. DISPOSITIONS D’ORDRE PUBLIC
En droit belge, les parties ne peuvent pas, avant l’échéance du contrat, déroger aux dispositions des articles relatifs à l’indemnité de clientèle et aux dommages et intérêts, et ce au détriment de l’agent commercial.
En droit français, sont réputées non écrites toutes les clauses ou conventions contraires aux dispositions énumérées à l’article L.134-16 du Code de commerce.
1.6. JURIDICTION COMPETENTE & DROIT APPLICABLE
La loi belge dispose que sous réserve de l’application des conventions internationales auxquelles la Belgique est partie, toute activité d’un agent commercial ayant son établissement principal en Belgique relève de la loi belge et de la compétence des Tribunaux belges.
L’arbitrage n’est valable que pour autant que les arbitres soient tenus d’appliquer le droit belge aux litiges.
En droit français, « la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle » (Article 2061 du code civil français). En conséquence, les contrats d’agence peuvent prévoir la compétence d’une juridiction arbitrale. Cependant, il faudra porter un soin tout particulier à la rédaction de cette clause pour éviter toute équivoque.
Le droit belge comme le droit français autorisent les parties à choisir la loi applicable à leur contrat. Il sera donc possible de choisir, en opportunité, l’application de la loi française ou de la loi belge.
CONCLUSION :
Malgré l’unification opérée par la directive européenne, il convient de rester très vigilant, car sur de nombreux points, le droit français et le droit belge présentent des distinctions qui peuvent paraître anodines mais qui sont, en pratique, lourdes de conséquences.
En témoignent les différences relevées quant à la rémunération de l’agent ou les conditions de la rupture du contrat. Pour le commettant, la rupture a un coût plus élevé en application du droit français mais en application de ce même droit, il pourra plus facilement conserver sa clientèle grâce à une clause de non concurrence beaucoup moins restrictive qu’en droit belge.
Il faudra donc que les parties choisissent la loi la plus opportune à la défense de leurs intérêts et choisissent, en conséquence, la juridiction compétente pour trancher leur litige.
2. LE CONTRAT DE DISTRIBUTION
Le contrat de distribution est un contrat par lequel le distributeur (ou concessionnaire) vend, en son nom et pour son compte, des produits fabriqués ou distribués par un concédant.
Ce type de contrat concerne différents acteurs économiques : importateurs, distributeurs, distributeurs exclusifs (en Belgique), concessionnaires, grossistes qui sont des négociants indépendants, rémunérés non à la commission mais par le bénéfice de la revente des produits.
Dans la plupart des pays européens, et notamment en France, le contrat de distribution est peu réglementé et les parties déterminent son contenu en toute liberté.
Il n’y a pas, en droit belge, de régime légal général relatif au contrat de concession mais une loi du 27 juillet 1961, modifiée en 1971, règle les effets de la résiliation unilatérale de la concession de vente exclusive à durée indéterminée. Cette loi d’ordre public (et donc à laquelle les parties ne peuvent déroger) est extrêmement contraignante pour le concédant.
Nous focaliserons la comparaison sur les problèmes liés à la résiliation du contrat de concession.
2.1. LA RUPTURE DU CONTRAT A DUREE INDETERMINEE
2.1.1. obligation de respect d’un préavis.
Dans les deux pays, les parties peuvent résilier unilatéralement le contrat en respectant un délai de préavis.
La loi française (Article L.442-6 I 5e du code de commerce) impose le respect d’un préavis suffisant conforme aux stipulations du contrat et aux usages du commerce : de 3 à 12 mois selon la durée et l’intensité de la relation commerciale. Ce préavis doit être donné par écrit.
La loi belge prévoit que le concédant doit accorder un préavis raisonnable ou une juste indemnité à déterminer par les parties au moment de la dénonciation du contrat.
La difficulté consiste à fixer le préavis raisonnable qui, selon la jurisprudence belge, peut être extrêmement long.
Si les concessionnaires ou distributeurs exclusifs considèrent que le préavis est insuffisant, ils peuvent obtenir du Tribunal une juste indemnité qui correspond à la marge brute qu’ils auraient réalisée pendant la période de complément de préavis.
Quelques exemples de préavis tirés de la jurisprudence belge :
12 mois de préavis pour la rupture d’une concession dont la durée est de 6 ans, portant sur des réfrigérateurs sur l’ensemble du territoire belge, et qui couvrait 100 % de l’activité du concédant ;
24 mois de préavis pour la rupture d’une concession de 12 ans concernant des briquets de luxe couvrant le territoire de la Belgique et représentant 60 % de l’activité du concessionnaire.
Les délais minimaux de préavis sont donc moins importants en droit français qu’en droit belge.
2.1.2. Indemnisation pour résiliation du contrat de concession
2.1.2.1. Application du droit belge
La loi belge prévoit une « indemnité complémentaire de clientèle » lorsque la résiliation est à l’initiative du concédant et en l’absence de faute grave du concessionnaire.
Cette indemnité peut représenter une somme très importante. Elle comprend, en effet, les éléments suivants :
la plus-value de clientèle restant acquise au concédant après résiliation du contrat,
les frais exposés par le concessionnaire et qui profiteraient au concédant après l’expiration du contrat,
l’ensemble des dédits que le concessionnaire doit au personnel qu’il doit licencier. Ce dernier poste peut être très lourd pour le concédant puisqu’il correspond aux indemnités de licenciement des salariés du concédant.
2.1.2.2. Application de la jurisprudence française
La jurisprudence française n’envisage l’indemnisation en cas de rupture que lorsque celle-ci est brutale (non respect d’un préavis suffisant), abusive ou résulte du comportement malveillant ou désinvolte de l’auteur de la rupture.
Ainsi, en rompant un contrat à durée indéterminée, « un fournisseur engage sa responsabilité lorsqu’il utilise des procédés déloyaux, visant à éliminer un distributeur dans le but de récupérer, à son seul profit, les fruits d’efforts commerciaux auxquels il a été étranger » .
Les Tribunaux français évaluent le préjudice en fonction de l’estimation des investissements réalisés par le concessionnaire pour la commercialisation des produits et des pertes qu’il a pu subir en raison de la résiliation abusive.
2.2. LA RUPTURE DU CONTRAT A DUREE DETERMINEE
En droit français, le contrat est reconduit de façon implicite par la simple continuation du commerce, à moins que l’une des parties manifeste expressément la volonté de cesser les relations contractuelles.
La rupture anticipée du contrat engage la responsabilité de son auteur, sauf exceptions.
En droit belge, lorsqu’un contrat à durée déterminée a été renouvelé à deux reprises, toute prorogation ultérieure est censée consentie pour une durée indéterminée et la loi du 27 juillet 1961, modifiée en 1971, s’applique dans toute sa rigueur.
Par ailleurs, pour rompre un contrat à durée déterminée, il est impératif de notifier un préavis par lettre recommandée, 3 mois au moins et 6 mois au plus avant l’échéance convenue dans le contrat.
CONCLUSION
La loi Belge, extrêmement sévère à l’égard du concédant, est une véritable exception dans le droit international des contrats de distribution. Elle impose, en effet, au concédant des indemnités de rupture excessivement lourdes.
Par ailleurs, la Cour de cassation belge précise que tout litige en matière de concession de vente exclusive ne peut être soumis à l’arbitrage que si les arbitres ont l’obligation d’appliquer la loi du 27 juillet 1961 sur la résiliation des concessions de vente exclusive.
Pour éviter l’application du droit belge, il est donc impératif d’insérer dans le contrat de concession de vente exclusive, une clause attribuant la compétence aux tribunaux français et soumettant le contrat à la loi française.
Une telle clause permettrait ainsi au concédant français d’échapper aux dispositions impératives de la loi belge du 27 juillet 1961.
Reste à convaincre le partenaire belge d’insérer une telle clause dans son contrat…